Hypersensibilité, quand la vie nous transperce
- Clémentine Raffort
- 6 mai 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 déc. 2024

Voici une phrase entendue en thérapie :
« Je me sens comme transpercée par la vie, chaque événement beau ou terrible me fait fondre en larmes, j’aimerais cacher cette sensibilité, j’ai honte. » Patiente anonyme
Définition
La sensibilité représente une aptitude à s’émouvoir, à éprouver des sentiments d’humanité, de compassion ou de tendresse pour autrui (Larousse). Aujourd’hui, nous entendons de plus en plus le terme d’hypersensibilité pour exprimer son caractère intense.
L’hypersensibilité, tantôt perçue comme une "malédiction", d’autre fois comme une capacité, est un sujet brûlant de l’actualité et des nouvelles études en psychologie. Elle possède mille et une facettes (Tomasella, 2017) et correspond à une réactivité aux stimuli internes (pensées, émotions) ou externes vécue comme excessive (Assenheim, 2020). Cette réactivité accrue serait présente chez 20% de la population (Acevedo et al., 2014).
Définition faite, intéressons-nous à présent au vécu des personnes concernées, aux causes potentiellement sous-jacentes et aux manières de mieux vivre cette faculté particulière.
Les vécus de l’hypersensibilité
« Les hypersensibles sont assaillis par une foule de messages et perçoivent des nuances qui échappent aux autres » Aron, 2017
Les patients doués d’une telle sensibilité viennent souvent au cabinet avec la sensation d’être seuls, incompris, excessifs, voire même avec l’impression de "devenir fous". Ils se qualifient souvent comme "susceptibles","facilement angoissés", "sur les nerfs". Le regard de l’autre et les conflits sont souvent difficilement vécus. Sensibles aux émotions, gestes et paroles d’autrui, les remarques et les critiques sont ressentis comme des coups de poignard. Pourtant, il s’agit bien souvent de personnes foncièrement proches de l’autre, désireuses d’aider et de rendre service, pleines d’empathie et de compassion. Entre volonté de s’ouvrir et crainte du rejet, les patients concernés sont souvent amenés à ressentir des sentiments paradoxaux.
Les personnes sensibles se révèlent aussi curieuses, passionnées, créatives et proches de la nature. Elles aspirent à trouver le calme et une forme d’authenticité. Elles possèdent une grande capacité de réflexion, d’introspection et de remise en question des dogmes sociaux et sociétaux.
D’où vient cette sensibilité ?
Chacun possède des limites, une barrière entre soi et l’autre, un "seuil à ne pas dépasser". Ce seuil de tolérance est variable d’un individu à un autre. Il peut être franchi suite à une répétition d’événements ou par la force particulière d’un seul. Cette différenciation, entre soi et le monde extérieur, demeure aussi bien physique (enveloppe physique) que mentale (enveloppe psychique). Nous appelons cela l’enveloppe somato-psychique (Anzieu, 1995), qui peut être plus ou moins fine selon nos vécus et notre développement.
Ainsi, plus l’enveloppe psychique d’une personne sera fine et poreuse, plus elle sera sensible au monde qui l’entoure, et à ses propres éprouvés. L’étude d’Acevedo en 2014 montre d’ailleurs que les personnes hypersensibles possèdent une activité cérébrale plus importante des neurones miroirs. Ces neurones permettent de ressentir de l’empathie dans un processus d’identification à l’autre.
Bien que l’hypersensibilité semble posséder de multiples origines. Ses racines se retrouvent le plus souvent dans l’enfance. Elle peut être reliée à un sentiment précoce de rejet, d’abandon, d’incompréhension ou d’injustice. Elle peut également survenir suite à un climat insécure et une instabilité émotionnelle trop importante de la part du parent ou du référent. L’enfant est alors constamment sur ses gardes, contraint d’analyser le moindre signe de changement émotionnel ou comportemental de l’adulte. En résulte un mécanisme acquis à l’âge adulte qui engendre une hypervigilance vis-à-vis d’autrui, et une estime de soi altérée (Tomasella, 2017).
Hypersensible et heureux
« Il ne s’agit pas de contraindre, de brimer ou de censurer sa sensibilité, même particulièrement forte : il s’agit de l’écouter, de lui faire de la place et de l’exprimer au plus juste.» Tomasella, 2017
L’hypersensibilité laisse souvent place à un sentiment de honte et de solitude. Elle devient d’autant plus intolérable qu’on essaie de la réprimer et de la combattre. L’acceptation, l’affirmation de soi et le sentiment de légitimité à ressentir sont autant de pistes à travailler pour ne plus porter le poids de ce fardeau.
Une sensibilité accrue peut également être la source de capacités sensorielles et extrasensorielles particulièrement développées, et apporte de nombreux avantages : "forte intuition, grande empathie, capacité à communiquer, délicatesse, accueil, facilité de la complexité, créativité, talents d’expression artistiques..." (Tomasella, 2017, p.159). En choisissant de percevoir l’hypersensibilité comme une force, nous pouvons nous en servir pour évoluer, nous développer, créer, nous comprendre et comprendre l’autre.
Sources
Acevedo, B. P., Aron, E. N., Aron, A., Sangster, M.-D., Collins, N., & Brown, L. L. (2014). The highly sensitive brain : An fMRI study of sensory processing sensitivity and response to others’ emotions. Brain and Behavior, 4(4), 580‑594. https://doi.org/10.1002/brb3.242
Anzieu, D. (1995). Le Moi-peau (2e édition). Dunod.
Aron, E. (2017). Hypersensibles - Mieux se comprendre, mieux s’accepter : Transformer l’hypersensibilité en atout. Poche marabout.
Asseinheim, C. (2020). Mon cerveau est hyper - Haut potentiel et Hypersensibilité. Deboeck.
Barthelemy, E. (2021). L’Hypersensibilité, un fonctionnement psychique et une pratique psychothérapique à définir. [Thèse en préparation, Université de Lorraine].
Thalbourne, M. A. (2000). Transliminality: A review. International Journal of Parapsychology, 11(2), 1-34.
Tomasella, S. (2017). Hypersensibles, trop sensibles pour être heureux ? Eyrolles.
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